Soins intégrés pour les troubles mentaux et les usages de substances : la méthode IDDT

Imaginez une personne qui souffre de dépression sévère et qui utilise de l’alcool pour calmer ses angoisses. Ou quelqu’un avec un trouble bipolaire qui se tourne vers la cocaïne pour tenir le coup pendant ses phases maniaques. Ces situations ne sont pas rares - elles sont courantes. Et pourtant, dans la plupart des systèmes de santé, ces deux problèmes sont traités séparément, comme s’ils n’avaient rien à voir l’un avec l’autre. C’est ce qu’on appelle le traitement parallèle. Et ça ne marche pas.

Pourquoi le traitement séparé échoue

Quand vous traitez la dépression sans toucher à l’alcool, ou l’usage de drogues sans aborder le trouble anxieux sous-jacent, vous ne faites que gratter la surface. L’alcool aggrave la dépression. La dépression pousse à boire davantage. C’est un cercle vicieux. Et ce n’est pas une exception : selon la Cleveland Clinic, environ 20,4 millions d’adultes aux États-Unis vivent avec un diagnostic double en 2023. Cela signifie qu’ils ont à la fois un trouble mental grave - comme la schizophrénie, le trouble bipolaire ou la dépression majeure - et un trouble lié à l’usage de substances.

Le problème, c’est que seulement 6 % de ces personnes reçoivent des soins pour les deux problèmes en même temps. Le reste est envoyé d’un service à l’autre : d’abord à un psychiatre, puis à un centre de désintoxication, puis à un thérapeute, sans coordination. Résultat ? Ils se sentent perdus, confus, abandonnés. Et les rechutes sont inévitables.

Qu’est-ce que l’IDDT ?

L’IDDT, ou Integrated Dual Disorder Treatment, est une méthode éprouvée pour briser ce cycle. Développée dans les années 1990 à Dartmouth, aux États-Unis, elle repose sur un principe simple : traiter les deux troubles en même temps, par la même équipe, dans le même lieu. Pas deux traitements parallèles. Un seul, intégré.

Contrairement aux approches traditionnelles, l’IDDT ne demande pas à la personne d’arrêter complètement les substances avant de commencer son traitement psychiatrique. Elle reconnaît que l’abstinence totale n’est pas toujours réaliste, surtout au début. L’objectif n’est pas de forcer la sobriété, mais de réduire les dommages. C’est ce qu’on appelle la réduction des risques. Si quelqu’un continue à consommer, on travaille avec lui pour que ce soit moins dangereux - moins de overdoses, moins d’hospitalisations, moins de conflits avec la loi.

Les équipes IDDT sont composées de professionnels formés à la fois aux troubles mentaux et à l’usage de substances. Un seul médecin, un seul thérapeute, un seul plan de soins. Pas de transfert entre services. Pas de contradictions. Pas de message mélangé. Un seul message clair : « Vos deux problèmes sont liés. Nous allons les traiter ensemble. »

Les neuf piliers de l’IDDT

L’IDDT n’est pas une approche vague. C’est un modèle structuré, avec neuf composantes clés, toutes basées sur des preuves scientifiques :

  • Entretien motivationnel : une méthode pour aider la personne à trouver sa propre raison de changer, sans jugement.
  • Counseling pour l’usage de substances : apprendre à identifier les déclencheurs, gérer les envies, éviter les situations à risque.
  • Thérapie de groupe : partager son expérience avec d’autres qui vivent la même chose, réduire la honte.
  • Éducation familiale : impliquer les proches pour qu’ils comprennent les deux troubles et ne renforcent pas les comportements à risque.
  • Participation aux groupes d’entraide : comme les Alcooliques Anonymes ou les Narcotiques Anonymes, mais adaptés aux personnes avec troubles mentaux.
  • Traitement médicamenteux : antipsychotiques, antidépresseurs, médicaments pour réduire les envies - tout est coordonné pour éviter les interactions dangereuses.
  • Interventions pour la santé générale : soins dentaires, nutrition, activité physique - parce que la santé mentale ne se limite pas à l’esprit.
  • Interventions pour les personnes qui ne répondent pas : si un patient stagne, l’équipe adapte la stratégie, pas l’objectif.
  • Prévention des rechutes : un plan personnalisé pour reconnaître les signaux d’alerte et agir avant que tout ne parte en vrille.
Un patient perdu dans un couloir de services séparés, tandis qu'une seule porte IDDT brille chaleureusement.

Les résultats : ce que les études montrent

Une étude publiée en 2018 dans PubMed a suivi 154 patients avec un diagnostic double pendant un an. Après l’implémentation de l’IDDT, le nombre de jours où ils ont consommé des substances a diminué de manière significative. Ce n’est pas une amélioration mineure - c’est une réduction concrète, mesurable.

Les patients eux-mêmes disent qu’ils se sentent enfin compris. « Je n’étais plus obligé de répéter mon histoire à chaque nouveau professionnel », a raconté l’un d’eux dans une étude de la SAMHSA. « Ici, tout le monde savait ce que je traversais. »

Mais ce n’est pas parfait. La même étude a montré que les compétences des professionnels - notamment en entretien motivationnel - n’ont pas beaucoup progressé après une formation de trois jours. C’est un problème majeur. L’IDDT ne fonctionne que si les équipes sont bien formées, bien soutenues, et bien rémunérées.

Les obstacles à l’implémentation

Malgré son efficacité, l’IDDT est encore rare. Pourquoi ? Parce qu’il faut changer tout le système.

Les hôpitaux et les centres de santé mentale sont financés pour traiter un trouble à la fois. S’il n’y a pas de remboursement pour un soin intégré, les établissements ne le feront pas. Les professionnels ne sont pas formés à la fois à la psychiatrie et à la toxicomanie. Les politiques publiques restent fragmentées.

Le Washington State Institute for Public Policy a calculé que l’IDDT réduit les symptômes de dépendance, mais que les coûts d’implémentation dépassent encore les bénéfices mesurés. Le ratio coût-bénéfice est de 0,50 pour l’alcool et 0,50 pour les drogues illicites. Cela signifie : pour chaque dollar investi, on récupère 50 cents en économies. Ce n’est pas une mauvaise affaire - mais ce n’est pas suffisant pour convaincre les gestionnaires de santé qui cherchent des retours à court terme.

Une personne entourée de neuf éléments clés du traitement intégré, dans un cadre apaisant et bienveillant.

Que peut-on faire ?

L’IDDT est la norme d’or. Mais pour qu’elle devienne la norme réelle, il faut :

  • Revoir les financements pour récompenser les soins intégrés, pas les soins séparés.
  • Former les professionnels à la double compétence - pas une journée de formation, mais un parcours continu.
  • Intégrer l’IDDT dans les programmes de santé publique, comme la Sécurité sociale ou les mutuelles.
  • Écouter les patients : ce sont eux qui savent ce qui fonctionne.

En France, on commence à parler de soins intégrés. Mais on est encore loin du modèle IDDT. On a des centres de soins, des services psychiatriques, des centres de désintoxication. Mais peu de lieux où tout est réuni. Il faut changer ça. Parce que chaque personne avec un diagnostic double mérite de ne pas être coupée en deux.

La voie suivante

Le futur des soins de santé mentale ne passe pas par des spécialistes isolés. Il passe par des équipes qui voient la personne dans sa totalité. L’IDDT n’est pas une mode. C’est une nécessité. Et il est temps que les systèmes de santé le comprennent.

Qu’est-ce qu’un diagnostic double ?

Un diagnostic double, aussi appelé trouble co-occurrent, désigne la présence simultanée d’un trouble mental grave - comme la schizophrénie, le trouble bipolaire ou la dépression majeure - et d’un trouble lié à l’usage de substances - comme l’alcoolisme, la dépendance aux opioïdes ou la toxicomanie. Ces deux conditions s’influencent mutuellement et doivent être traitées ensemble pour être efficacement gérées.

Pourquoi l’IDDT est-elle considérée comme la norme d’or ?

L’IDDT est reconnue comme la norme d’or parce qu’elle est la seule approche éprouvée par des études cliniques pour traiter simultanément les deux troubles dans un même cadre, avec la même équipe. Contrairement aux modèles parallèles ou séquentiels, elle réduit les rechutes, améliore la qualité de vie et diminue les coûts à long terme en évitant les hospitalisations répétées et les interventions d’urgence.

L’IDDT exige-t-elle l’abstinence totale dès le début ?

Non. L’IDDT adopte une approche de réduction des risques. Elle ne demande pas à la personne d’arrêter complètement la consommation pour commencer le traitement. L’objectif est de réduire les dommages liés à la consommation - moins de surdoses, moins d’hospitalisations, moins de conflits - tout en travaillant sur les causes profondes du trouble mental. L’abstinence peut être un objectif à long terme, mais pas une condition préalable.

Qui peut bénéficier de l’IDDT ?

Toute personne atteinte d’un trouble mental grave et d’un trouble lié à l’usage de substances. Cela inclut les personnes avec schizophrénie, trouble bipolaire, dépression majeure, trouble de personnalité limite, ainsi que celles qui dépendent de l’alcool, des opioïdes, des stimulants ou d’autres drogues. L’IDDT est particulièrement efficace pour les personnes qui ont déjà échoué à d’autres formes de traitement.

Pourquoi les professionnels ont-ils du mal à mettre en œuvre l’IDDT ?

Les principaux obstacles sont le manque de formation spécifique, les financements inadéquats, et la structure fragmentée des services de santé. Beaucoup de professionnels sont formés soit à la psychiatrie, soit à la toxicomanie, mais rarement aux deux. De plus, les systèmes de remboursement ne récompensent pas les soins intégrés. Sans soutien financier et organisationnel, l’IDDT reste une bonne idée… mais difficile à mettre en pratique.