Saignement digestif inférieur : diverticules, angiodysplasie et prise en charge diagnostique

Le saignement digestif inférieur est une urgence médicale courante, surtout chez les personnes âgées. Il se manifeste souvent par une hématochézie - du sang rouge vif ou marron dans les selles - parfois accompagnée de faiblesse, de vertiges ou d’anémie chronique. Dans 30 à 40 % des cas, la cause est un diverticule, et dans 3 à 40 %, une angiodysplasie. Ces deux pathologies sont différentes, mais elles se ressemblent par leur présentation : une perte de sang sans douleur, souvent surprise. Le vrai défi, ce n’est pas de voir qu’il y a un saignement, mais de trouver d’où il vient, et surtout, comment l’arrêter sans le répéter.

Qu’est-ce qu’un diverticule et pourquoi saigne-t-il ?

Les diverticules sont de petites poches qui se forment dans la paroi du côlon, surtout dans le sigmoïde. Elles apparaissent avec l’âge, à cause d’une pression chronique et d’une faiblesse des muscles intestinaux. Ce n’est pas la présence des diverticules qui pose problème, mais ce qui se passe autour. Certains vaisseaux sanguins, appelés vasa recta, traversent la paroi du côlon pour nourrir la muqueuse. Quand un diverticule se forme, ces vaisseaux sont déplacés, étirés, et deviennent plus fragiles. Un simple mouvement intestinal, une toux, ou même une pression abdominale peuvent les faire rompre. Résultat : une perte de sang soudaine, abondante, et souvent sans douleur.

Contrairement à la diverticulite - une inflammation douloureuse - le saignement diverticulaire n’est pas lié à une infection. Il est purément mécanique. Environ 80 % des cas s’arrêtent spontanément. Mais quand le saignement est massif, il faut agir vite. Un patient peut perdre plus d’un litre de sang en quelques minutes, avec une chute de la pression artérielle, un rythme cardiaque accéléré, et une pâleur marquée. Ce n’est pas rare chez les personnes de plus de 70 ans, surtout si elles prennent des anticoagulants.

Angiodysplasie : le saignement silencieux qui ronge

L’angiodysplasie, aussi appelée malformation artério-veineuse ou ectasie vasculaire, est la deuxième cause majeure de saignement digestif inférieur chez les seniors. Elle touche surtout le côlon droit, près du cæcum. Contrairement aux diverticules, elle ne se forme pas par pression mécanique, mais par dégradation progressive des vaisseaux sanguins. Avec l’âge, les petites artères et veines du côlon se dilatent, se tortillent, et finissent par former des connexions anormales - comme des courts-circuits sanguins. Ces vaisseaux sont très fins, et leur paroi est fragile. Ils saignent peu à peu, ou par épisodes.

Ce qui rend l’angiodysplasie piègeuse, c’est qu’elle ne saigne pas toujours de façon spectaculaire. Souvent, elle provoque une perte chronique de sang : quelques gouttes par jour. Le corps s’adapte, mais peu à peu, l’hémoglobine chute. Le patient ne voit pas de sang dans les selles - il se sent simplement fatigué, essoufflé, ou a des palpitations. C’est souvent en faisant une analyse de sang pour une fatigue inexpliquée qu’on découvre une anémie ferriprive sévère. Dans certains cas, les patients ont eu 3 ou 4 coloscopies négatives avant qu’on ne voie la lésion. Pourquoi ? Parce que les angiodysplasies sont petites, rouges, et parfois difficiles à repérer, surtout si le côlon n’est pas parfaitement nettoyé.

Il y a un lien caché important : l’angiodysplasie est plus fréquente chez les patients ayant une sténose aortique. Pourquoi ? Parce que le flux sanguin turbulent à travers la valve aortique détruit les facteurs de coagulation appelés multimères de von Willebrand. Sans ces facteurs, les petits vaisseaux saignent plus facilement. C’est un mécanisme bien documenté, mais souvent oublié par les médecins. Si un patient âgé a une sténose aortique et des saignements récurrents, l’angiodysplasie doit être suspectée, même si la coloscopie est normale.

Comment faire le diagnostic ?

Le premier réflexe, c’est la stabilisation. Si la pression artérielle est basse, le pouls rapide, ou l’hémoglobine sous 10 g/dL, on commence par une perfusion et une transfusion si nécessaire. Ensuite, on cherche la source. La coloscopie reste la référence. Elle doit être faite dans les 24 heures après l’admission. Des études montrent que faire la coloscopie en urgence réduit la mortalité de 26 % par rapport à une réalisation tardive.

Le problème ? Le côlon doit être propre. Mais en cas de saignement actif, on ne peut pas toujours faire un lavement complet. La solution : un lavage léger avec des liquides intraveineux et une injection d’érythromycine - un antibiotique qui stimule les mouvements intestinaux. Cela aide à vider le côlon plus vite, et à voir les lésions. Pendant la coloscopie, on cherche deux choses : des diverticules avec un vaisseau visible à l’intérieur, ou des plaques rouges, vasculaires, souvent en forme de goutte ou de tache, typiques des angiodysplasies.

Si la coloscopie est négative, mais que le saignement continue, on passe à l’étape suivante. La capsule endoscopique - une petite caméra avalée - a un taux de diagnostic de 62 %. Mais elle a un risque : elle peut se coincer dans un rétrécissement non diagnostiqué. C’est pourquoi certains experts la réservent après d’autres examens. La coloscopie à double ballon ou la coloscopie assistée par dispositif atteignent 71 % de réussite, mais elles demandent une expertise rare. En cas de saignement actif, la scanner angiographie est un outil puissant. Elle détecte les saignements à un débit supérieur à 0,5 ml/min avec 85 % de précision. Elle est idéale quand la coloscopie échoue ou que le patient est trop instable pour être transporté.

Médecin examine un côlon avec des lésions vasculaires rouges en forme de gouttes.

Comment traiter un saignement diverticulaire ?

La bonne nouvelle, c’est que la plupart des saignements diverticulaires s’arrêtent tout seuls. Le traitement de base, c’est la réhydratation et la surveillance. Mais quand il faut agir, la coloscopie devient thérapeutique. On injecte de l’épinéphrine (adrénaline) directement autour du vaisseau pour le contracter, puis on utilise une sonde thermique pour brûler le point de saignement. Cette combinaison réussit à arrêter le saignement dans 85 à 90 % des cas.

Mais attention : le risque de récidive est élevé. Entre 20 et 30 % des patients saignent à nouveau dans les mois qui suivent. Pourquoi ? Parce qu’il y a souvent plusieurs diverticules fragiles. On ne traite pas tous les diverticules - seulement celui qui saigne. Les autres restent en place. C’est pour ça que certains patients reviennent plusieurs fois. Si la récidive est répétée et localisée à un segment du côlon, on peut envisager une chirurgie : une colectomie segmentaire. C’est une solution radicale, mais efficace.

Et pour l’angiodysplasie ?

Le traitement de l’angiodysplasie, c’est l’ablation par coagulation au plasma d’argon (APC). C’est une technique non invasive : on envoie un jet de gaz ionisé à travers la sonde de la coloscopie. Ce plasma chauffe les vaisseaux, les ferme, et arrête le saignement. Ça fonctionne dans 80 à 90 % des cas au début. Mais le problème, c’est que les vaisseaux se reformeront. Entre 20 et 40 % des patients récidivent dans les deux ans. C’est pourquoi les patients avec angiodysplasie sont souvent suivis pendant des années.

Quand l’APC échoue ou que les saignements sont trop fréquents, on passe aux médicaments. Le thalidomide - un médicament connu pour ses effets sur les maladies auto-immunes - a été redécouvert pour son effet sur les vaisseaux. Un essai clinique publié dans Gut en 2019 a montré qu’à 100 mg par jour, il réduit les transfusions de 70 %. Ce n’est pas un traitement de première ligne - il a des effets secondaires - mais pour les patients réfractaires, c’est une avancée majeure. Une autre option est l’octréotide, une hormone qui réduit le flux sanguin dans les intestins. On l’administre par injection sous-cutanée trois fois par jour. Ça marche dans 60 % des cas, mais c’est lourd à gérer à long terme.

La chirurgie n’est envisagée que dans les cas extrêmes. Pour une angiodysplasie au cæcum, une hémicolectomie droite est souvent la solution. Pour les lésions multiples ou récidivantes, c’est le seul moyen de stopper définitivement les saignements. Mais ce n’est jamais la première option. On essaie tout d’abord les traitements moins invasifs.

Des fantômes de lésions intestinales discutent au-dessus d'un patient endormi, sous un œil d'IA.

Que faire après ?

Après un saignement, le suivi est crucial. Pour les diverticules, on conseille une alimentation riche en fibres, pour réduire la pression dans le côlon. Pour les angiodysplasies, on surveille l’hémoglobine tous les 3 à 6 mois. Certains patients ont besoin de suppléments de fer à vie. Et il faut toujours vérifier les anticoagulants. Un patient qui prend de la warfarine ou un anti-Xa doit être évalué avec attention : le risque de récidive est multiplié.

Une nouvelle avancée est l’intelligence artificielle en coloscopie. Des systèmes d’IA peuvent détecter les angiodysplasies avec 35 % de plus de précision qu’un médecin. Ils soulignent les zones suspectes en temps réel. C’est encore en développement, mais ça change la donne. Et des clips endoscopiques plus performants permettent maintenant de claquer les vaisseaux comme des pinces - avec un taux d’arrêt du saignement de 92 % dans les essais européens.

Quel est le pronostic ?

Le saignement lui-même n’est pas toujours mortel. Ce qui tue, c’est l’âge, les maladies associées - l’insuffisance cardiaque, les maladies rénales, les cancers. La mortalité à 30 jours pour un saignement diverticulaire est de 10 à 22 %. Pour l’angiodysplasie, elle est plus faible - entre 5 et 10 %. Mais la qualité de vie est souvent altérée. Les patients avec angiodysplasie récidivante passent des mois à attendre un diagnostic, à faire des coloscopies, à se faire transfuser. Certains disent avoir vécu un « voyage diagnostique » de 18 mois. Ce n’est pas un simple saignement - c’est une épreuve chronique.

Le bon côté ? La plupart des patients survivent. À cinq ans, 78 % des patients avec diverticulose et 82 % avec angiodysplasie sont encore en vie. Ce n’est pas la lésion qui les tue - c’est ce qui les entoure. La clé, c’est de diagnostiquer tôt, traiter bien, et surveiller longtemps. Il n’y a pas de solution magique, mais il y a des outils. Et avec les progrès de l’endoscopie et de la médecine personnalisée, les chances de réussite ne cessent d’augmenter.

1 Commentaires

  • michel laboureau-couronne

    michel laboureau-couronne

    décembre 11, 2025 AT 03:16

    C’est fou comment un truc aussi simple qu’un diverticule peut devenir une urgence vitale… J’ai vu un oncle passer par là à 78 ans, et il a eu de la chance que ça s’arrête tout seul. La médecine moderne, c’est pas juste les scanners, c’est aussi la patience.

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