Passer en toute sécurité d'un anticoagulant à un autre : guide pratique sur la thérapie de pontage

Quand faut-il passer d’un anticoagulant à un autre ?

Vous prenez un anticoagulant depuis des mois, voire des années, pour prévenir un caillot sanguin. Soudain, vous devez subir une intervention chirurgicale, une colonoscopie, ou même une simple extraction dentaire. Votre médecin vous dit : "Il faut arrêter votre traitement quelques jours avant." Et là, vous vous demandez : et maintenant ? Est-ce que je vais être à risque de caillot ? Dois-je me faire des injections ? Pourquoi certains patients en ont besoin et d’autres non ?

La réponse, c’est la thérapie de pontage. Ce n’est pas une routine. Ce n’est pas une obligation. C’est une décision médicale précise, basée sur votre risque personnel de caillot et de saignement. Et les règles ont changé - radicalement - depuis 2015.

Pourquoi la thérapie de pontage existe-t-elle ?

Les anticoagulants comme la warfarine (Coumadin) sont efficaces, mais ils agissent lentement. Il faut 5 à 6 jours pour qu’ils se dégradent complètement dans l’organisme. Pendant ce temps, votre sang redevient plus "collant". Si vous ne faites rien, vous courez un risque de caillot - surtout si vous avez un valve mécanique, un antécédent récent de thrombose, ou une fibrillation auriculaire avec un score CHA₂DS₂-VASc élevé.

La thérapie de pontage consiste à remplacer temporairement la warfarine par un anticoagulant injectable, plus rapide : généralement de l’héparine de bas poids moléculaire (HBPM), comme l’énoxaparine (Lovenox). Cette injection, faite sous la peau, agit en quelques heures et disparaît en 12 à 24 heures. Elle vous protège pendant la période où la warfarine est arrêtée, et elle est arrêtée juste avant l’intervention pour réduire le risque de saignement.

Le but ? Éviter un accident thromboembolique - comme un AVC ou une embolie pulmonaire - sans provoquer un saignement grave pendant l’opération.

Qui a vraiment besoin d’une thérapie de pontage ?

La plupart des patients n’en ont pas besoin. C’est la grande révolution des dernières années.

Avant 2015, on donnait systématiquement des injections à tout le monde. Puis est venu l’essai BRIDGE, publié dans le New England Journal of Medicine. Résultat ? Les patients qui ont reçu une thérapie de pontage avaient 2,3 % de risque de saignement majeur. Ceux qui n’en ont pas reçu ? Seulement 1 %. Et pourtant, le nombre de caillots était le même dans les deux groupes.

Depuis, les recommandations ont été radicalement simplifiées. Selon les dernières directives de l’American Heart Association (2020) et de l’American College of Chest Physicians :

  • Seuls les patients à très haut risque doivent recevoir une thérapie de pontage : ceux avec une valve mécanique au niveau mitral ou un caillot récent (moins de 3 mois).
  • Tous les autres - y compris les patients en fibrillation auriculaire avec un score CHA₂DS₂-VASc de 5 ou plus - ne doivent pas être pontés. Ils peuvent simplement arrêter leur anticoagulant, attendre quelques jours, et le reprendre après l’intervention.

En 2020, environ 50 % des patients anticoagulés étaient considérés comme candidats à la pontage. Aujourd’hui, ce chiffre est tombé à 10-15 %. C’est une réduction massive.

Et les anticoagulants oraux directs (DOAC) ? Pas besoin de pontage.

Si vous prenez un anticoagulant comme l’apixaban (Eliquis), le rivaroxaban (Xarelto) ou le dabigatran (Pradaxa), vous êtes chanceux.

Ces médicaments, appelés DOAC, ont une demi-vie courte : entre 5 et 17 heures selon la fonction rénale. Ils agissent vite, et ils disparaissent vite. Pas besoin d’injections. Pas besoin de surveiller l’INR. Pas besoin de pontage.

Voici comment ça marche :

  • Apixaban : arrêtez-le 48 heures avant l’intervention (24 heures si vous avez une insuffisance rénale sévère).
  • Rivaroxaban : arrêtez-le 24 à 48 heures avant, selon le risque de saignement de l’intervention.
  • Dabigatran : arrêtez-le 24 à 72 heures avant, selon votre clairance rénale.

Et après l’intervention ? Vous le reprenez 24 à 48 heures après, quand le risque de saignement est passé. Pas de transition complexe. Pas de décalage. Pas d’injection. C’est pourquoi les DOAC représentent maintenant 75 % des nouvelles prescriptions d’anticoagulants en 2023.

Schéma humoristique montrant la différence entre pontage et traitement par DOAC sans injections.

Comment ça marche si vous êtes sur de la warfarine ?

Si vous êtes encore sur de la warfarine, voici le protocole standard, basé sur les recommandations de l’American Heart Association et les pratiques hospitalières en France et aux États-Unis :

  1. 10 jours avant : le médecin confirme la date de l’intervention et évalue votre risque (CHA₂DS₂-VASc pour les caillots, HAS-BLED pour les saignements).
  2. 7 jours avant : prise de sang pour vérifier l’INR, la créatinine, et la numération formule sanguine.
  3. 5 à 6 jours avant : arrêt de la warfarine. L’INR descend naturellement.
  4. 3 jours avant : début de l’HBPM (ex. : énoxaparine 1 mg/kg deux fois par jour).
  5. 24 heures avant : arrêt de l’HBPM.
  6. Après l’intervention : réactivation de la warfarine 24 à 48 heures après, souvent à une dose légèrement augmentée (15-20 %), avec contrôle de l’INR dans les 3 à 4 jours.

Attention : si vous avez une insuffisance rénale, les doses doivent être ajustées. L’HBPM n’est pas éliminée par les reins comme les DOAC. Une mauvaise dose peut causer un saignement.

Les pièges à éviter

Même avec un bon protocole, les erreurs arrivent. Voici les 3 erreurs les plus courantes :

  • Ne pas arrêter l’HBPM à temps : si vous la prenez le matin même de l’intervention, vous risquez un saignement grave. 24 heures avant, c’est la règle.
  • Reprendre la warfarine trop tôt : si vous la reprenez sans attendre 24 à 48 heures après l’opération, vous augmentez le risque de saignement post-opératoire.
  • Ne pas vérifier l’INR après : la warfarine met des jours à retrouver son effet. Sans contrôle, vous pouvez être sous-anticoagulé (risque de caillot) ou sur-anticoagulé (risque de saignement).

Un patient sur cinq oublie ses injections d’HBPM. Un autre sur dix ne sait pas quand reprendre son traitement. La communication entre le médecin, le chirurgien et le patient est cruciale. Demandez toujours un plan écrit.

Et si vous devez passer d’un DOAC à la warfarine ?

C’est rare, mais ça arrive. Par exemple, si vous avez un caillot malgré un DOAC, ou si vous devez changer de traitement pour des raisons financières ou de disponibilité.

Voici comment faire :

  • Arrêtez le DOAC.
  • Commencez immédiatement la warfarine et une HBPM en même temps.
  • Continuez la HBPM pendant 5 jours, ou jusqu’à ce que l’INR soit entre 2 et 3.
  • Arrêtez la HBPM seulement quand l’INR est stable.

Pourquoi cette double approche ? Parce que la warfarine met 5 jours à devenir efficace. Pendant ce temps, vous êtes vulnérable. La HBPM vous protège jusqu’à ce que la warfarine fasse son travail.

Patient jetant une seringue à la poubelle, heureux de ne plus avoir besoin de pontage.

Le coût et la complexité : un prix à payer

La thérapie de pontage n’est pas juste médicale - c’est aussi pratique et financier.

En France, une semaine d’HBPM coûte entre 80 et 150 euros. Aux États-Unis, ça peut atteindre 300 à 500 dollars. Et vous devez vous faire des injections deux fois par jour. Beaucoup de patients ont peur des aiguilles. Certains ne les font pas. D’autres les oublient. Des études montrent que 15 à 20 % des patients ne respectent pas le protocole.

Et puis, il y a le stress. Le stress de la date. Le stress de la prise d’anticoagulant. Le stress de l’opération. La thérapie de pontage ajoute une couche de complexité là où il n’y en a pas besoin.

Le futur : moins de pontage, plus de DOAC

La médecine évolue. Les DOAC sont plus sûrs, plus simples, et plus efficaces. Les nouveaux anticoagulants en cours de développement pourraient encore réduire le besoin de pontage.

En 2025, il est de plus en plus rare de voir un patient sur warfarine. Les médecins préfèrent commencer par un DOAC. Et quand un patient doit arrêter son traitement pour une intervention, la plupart du temps, ils n’ont qu’à arrêter, attendre, et reprendre.

La thérapie de pontage n’est pas morte. Elle est devenue rare. Et c’est une bonne chose. Parce que dans la plupart des cas, le meilleur moyen de ne pas saigner, c’est de ne pas injecter.

Que faire maintenant ?

Si vous êtes sur un anticoagulant et que vous devez subir une intervention :

  • Ne prenez pas de décision vous-même.
  • Demandez à votre médecin : "Est-ce que je suis à haut risque de caillot ?"
  • Demandez : "Est-ce que je dois vraiment faire des injections ?"
  • Si vous êtes sur un DOAC, demandez : "Combien de temps avant et après l’intervention dois-je arrêter ?"
  • Exigez un plan écrit, avec les dates, les doses, et les numéros de contact.

La thérapie de pontage n’est pas une routine. C’est un outil. Et comme tout outil, il ne sert que si on le utilise au bon moment, pour la bonne personne, avec les bonnes précautions.

La thérapie de pontage est-elle toujours nécessaire pour les patients avec une valve mécanique ?

Oui, mais seulement pour les valves mécaniques situées au niveau mitral, et uniquement si elles ont été implantées récemment ou si le patient a déjà eu un caillot. Pour les valves aortiques, la plupart des guides recommandent aujourd’hui de ne pas faire de pontage, même avec une valve mécanique, sauf en cas de facteurs de risque très élevés. La décision doit être prise en équipe, avec un cardiologue et un hématologue.

Puis-je sauter une injection d’HBPM si je suis en voyage ?

Non. Les injections d’HBPM doivent être faites à heure fixe, deux fois par jour, sans interruption. Sauter une dose augmente le risque de caillot. Si vous voyagez, préparez-vous à l’avance : demandez à votre pharmacien des seringues préremplies, emportez un carnet avec les dates et horaires, et notez les numéros de votre médecin et de l’urgence. Ne prenez pas de risque.

Pourquoi ne pas continuer la warfarine pendant l’intervention ?

Parce que la warfarine agit lentement et ne peut pas être rapidement inversée. Si vous saignez pendant une chirurgie, il faut arrêter le saignement immédiatement. Avec la warfarine, vous devez injecter du plasma frais congelé ou du facteur de prothrombine, ce qui prend du temps et peut ne pas être disponible. L’HBPM, elle, disparaît en 12 à 24 heures. C’est beaucoup plus sûr.

Et si je ne veux pas faire d’injections ? Y a-t-il d’autres options ?

Oui. Si vous êtes sur un DOAC, vous n’avez pas besoin d’injections. Si vous êtes sur warfarine, vous pouvez discuter avec votre médecin d’une stratégie de "continuation" : garder la warfarine, mais arrêter les anticoagulants antiplaquettaires (comme l’aspirine) si vous en prenez. Pour certaines interventions à faible risque de saignement (comme une extraction dentaire simple), on peut parfois garder la warfarine, avec un INR cible plus bas (entre 2 et 2,5). Mais cette approche dépend de la nature de l’intervention et de votre historique médical.

Combien de temps après l’intervention puis-je reprendre mon anticoagulant ?

Cela dépend du type d’intervention. Pour une chirurgie mineure (dentaire, biopsie), vous pouvez reprendre 24 heures après. Pour une chirurgie majeure (abdominale, thoracique), on attend 48 à 72 heures, voire plus si le risque de saignement est élevé. Le médecin évalue la cicatrisation, la pression artérielle, et la présence de saignement. Ne reprenez jamais votre traitement sans son accord.

2 Commentaires

  • Audrey Anyanwu

    Audrey Anyanwu

    décembre 16, 2025 AT 20:15

    J’ai eu une extraction dentaire l’année dernière et j’étais sur Xarelto. J’ai juste arrêté 48h avant, pas une seule injection. J’ai eu peur, mais ça s’est super bien passé. Merci pour ce guide, c’est rassurant.

  • Muriel Randrianjafy

    Muriel Randrianjafy

    décembre 17, 2025 AT 13:11

    bonjour j’ai lu ce truc mais j’ai pas compris pourquoi on fait des injections si on peut juste arreter le truc ? j’ai un pote qui a eu un AVC apres une pontage et il dit que c’est la merde. j’ai peur.

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