Les ordonnances verbales sont inévitables - mais elles peuvent être mortelles
Un patient arrive en urgence, le médecin donne un ordre à voix haute : « Ampicilline, deux cents milligrammes, IV, toutes les six heures. » La infirmière répond : « D’accord, deux cents milligrammes IV. » Et puis ? Rien. Pas de vérification. Pas de répétition. Pas de signature immédiate. Trois heures plus tard, le patient fait une réaction allergique sévère. Pourquoi ? Parce que l’ordonnance était « ampicilline », mais on a entendu « amikacine ». Une lettre de différence. Une mort évitable.
Les ordonnances verbales - celles données oralement, en personne ou au téléphone - représentent encore 10 à 15 % de toutes les prescriptions dans les hôpitaux, et jusqu’à 25 % en ambulatoire. Même avec les systèmes électroniques, elles restent nécessaires : pendant une chirurgie, en réanimation, ou quand le réseau tombe. Mais elles sont aussi la principale cause d’erreurs médicamenteuses. Selon l’Institut canadien pour la sécurité des médicaments (ISMP Canada), jusqu’à 50 % des erreurs liées aux ordonnances proviennent de communications orales mal faites.
Pourquoi les ordonnances verbales sont-elles si dangereuses ?
Les erreurs ne viennent pas toujours de la négligence. Elles viennent de la manière dont notre cerveau traite l’information orale. Les noms de médicaments qui se ressemblent sont des pièges mortels. « Celebrex » et « Celexa ». « Zyprexa » et « Zyrtec ». « Hydralazine » et « Hydroxyzine ». Quand un médecin dit rapidement « hydroxy », une infirmière peut entendre « hydrala » - et injecter le mauvais produit.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Une étude de 2006 de l’Agence pour la recherche et la qualité des soins de santé (AHRQ) montre que 25 % des erreurs liées aux ordonnances verbales proviennent de confusions entre noms de médicaments sonores. Dans un cas documenté à Philadelphie, un bébé prématuré a reçu une dose mortelle d’ampicilline et de gentamicine parce que les deux ordres ont été donnés en même temps, sans pause. Le mot « et » a été perdu. Le bébé a survécu par miracle.
Les heures de changement de quart sont les plus dangereuses. 42 % des erreurs surviennent pendant les transferts de service. Les infirmières sont fatiguées. Les médecins sont pressés. La communication devient floue. Une enquête de 2021 sur 1 200 infirmières a révélé que 68 % ont vécu au moins un « quasi-accident » par mois à cause d’une prononciation confuse - surtout quand le médecin n’est pas natif de la langue.
La règle d’or : la lecture à voix haute n’est pas une option
Il n’y a qu’une seule méthode éprouvée pour éviter ces erreurs : la lecture à voix haute. Cela signifie que la personne qui reçoit l’ordonnance doit répéter exactement ce qu’elle a entendu - mot pour mot - avant de l’appliquer.
Cette pratique n’est pas une suggestion. C’est une exigence du Joint Commission depuis 2006. Et elle réduit les erreurs de jusqu’à 50 %. Mais elle n’est pas toujours suivie. Une enquête de 2020 a montré que 63 % des infirmières déclarent que certains médecins refusent de la demander, parce que « c’est lent » ou « on se connaît bien ».
Voici comment faire une lecture à voix haute correcte :
- Le prescripteur donne l’ordonnance complète : nom du médicament, dose, voie, fréquence, indication, et nom du patient.
- Le récepteur répète l’ordonnance entière à voix haute : « Ampicilline, deux cents milligrammes, par voie intraveineuse, toutes les six heures, pour infection, pour Jean Dupont. »
- Le prescripteur confirme : « Exact. »
- Seulement après cette confirmation, l’ordonnance est saisie dans le dossier médical.
Ne passez pas à l’étape suivante sans cette confirmation. Même si vous connaissez le médecin depuis 15 ans. Même si vous êtes en urgence. Même si tout le monde vous pousse à aller vite.
Comment dire les noms de médicaments sans se tromper
Ne dites jamais « BID » ou « PO ». Dites « deux fois par jour » et « par voie orale ». Les abréviations sont interdites par l’ISMP Canada depuis 2020. Elles sont trop ambiguës. « QD » peut être lu comme « QID ». « U » peut être lu comme « 0 ». Une erreur comme celle-là a tué des patients.
Les noms de médicaments doivent être épelés phonétiquement. Pas « A » comme dans « ami », mais « A comme Alpha ». Pas « M » comme dans « maison », mais « M comme Mike ». C’est la méthode standard de l’OTAN. Elle fonctionne même si le médecin parle avec un accent.
Les chiffres aussi. Dites « quinze milligrammes » ET « un-cinq milligrammes ». Pourquoi ? Parce que « quinze » peut être entendu comme « cinq » dans un environnement bruyant. En disant les deux formes, vous créez une double vérification auditive.
Voici quelques paires à connaître absolument :
- Hydralazine et Hydroxyzine - l’une traite l’hypertension, l’autre les allergies. Confusion = choc anaphylactique.
- Insulin et Isosorbide - une peut tuer par hypoglycémie, l’autre est un vasodilatateur.
- Clonidine et Clonazepam - l’une abaisse la pression, l’autre calme les crises.
Apprenez ces paires. Enregistrez-les dans votre mémoire. Elles sauvent des vies.
Les médicaments à risque : interdits en verbal
Les ordonnances verbales ne sont pas autorisées pour tous les médicaments. Certaines classes sont interdites sauf en cas d’urgence vitale.
La Pennsylvania Patient Safety Authority interdit formellement les ordonnances verbales pour :
- La chimiothérapie (sauf pour arrêter ou suspendre un traitement)
- L’héparine
- L’insuline
- Les opioïdes (morphine, fentanyl, oxycodone)
En France, les bonnes pratiques recommandent la même chose. Si un médecin demande une ordonnance verbale pour de la morphine en dehors d’une urgence, vous devez refuser. Pas par désobéissance, mais par responsabilité. Vous êtes le dernier rempart.
Si vous devez donner un médicament à risque par voie orale, alors :
- Confirmez que c’est une urgence réelle.
- Exigez la lecture à voix haute.
- Épelez chaque mot du médicament.
- Documentez immédiatement dans le dossier.
- Obtenez la signature du médecin dans les 30 minutes - pas dans les 48 heures.
Les hôpitaux de pointe comme Johns Hopkins exigent la signature dans le même quart de travail. Pas plus tard.
La documentation : votre seule preuve
Le seul enregistrement d’une ordonnance verbale, c’est ce que vous écrivez. Pas ce que vous vous souvenez. Pas ce que le médecin a dit. Ce que vous avez saisi dans le système.
Le CMS exige que toute ordonnance soit :
- Datée et horodatée
- Authentifiée par le prescripteur dans les 48 heures
- Complète : nom du patient, nom du médicament (épelé), dose avec unité, voie, fréquence, indication, nom du prescripteur
Si vous oubliez l’indication - par exemple, « pour infection urinaire » - vous créez un risque de surprescription. Si vous ne mettez pas l’unité - « 10 » au lieu de « 10 mg » - vous créez un risque de surdosage.
Ne laissez jamais quelqu’un d’autre saisir l’ordonnance pour vous, sauf si c’est un assistant autorisé, et seulement sous votre supervision directe. En 2022, le CMS a clarifié que les assistants peuvent saisir, mais uniquement si le médecin donne l’ordre en direct.
Comment faire pour que les médecins acceptent la lecture à voix haute
La résistance vient souvent des médecins. Ils trouvent que c’est lent. Qu’ils sont « trop occupés ». Qu’« on se connaît ».
Voici comment répondre :
- « Je ne doute pas de votre expertise. Mais je doute de la précision de l’audition. »
- « Si vous avez un patient qui a eu une erreur avec un médicament sonore, vous voudriez que quelqu’un vous rappelle la lecture à voix haute ? »
- « C’est une exigence du Joint Commission. Si on ne la suit pas, on risque la perte de l’accréditation. »
Utilisez des scripts standardisés. Par exemple : « Docteur, pour votre sécurité et celle du patient, je dois vous demander de répéter l’ordonnance. »
Et si le médecin refuse ? Notez-le. Signalez-le. C’est votre responsabilité éthique. Vous n’êtes pas un exécutant. Vous êtes un garant de la sécurité.
Le futur : les ordonnances verbales vont-elles disparaître ?
Les systèmes électroniques de commande (CPOE) ont réduit les ordonnances verbales de 22 % à 10 % dans les hôpitaux entre 2006 et 2019. La technologie continue d’avancer. Les assistants vocaux intelligents, capables de transcrire les ordres en temps réel, sont en test dans plusieurs hôpitaux américains.
Mais selon le Dr Robert Wachter, professeur à l’Université de Californie, « certaines situations cliniques exigeront toujours une communication orale ». Pendant une chirurgie, dans une ambulance, en pleine nuit dans un service saturé - les ordonnances verbales resteront.
Le vrai progrès n’est pas d’éliminer les ordonnances verbales. C’est de les rendre parfaites. Avec la lecture à voix haute. Avec l’épellation phonétique. Avec la documentation immédiate.
En résumé : 5 règles à retenir
- Ne jamais accepter une ordonnance verbale sans lecture à voix haute.
- Épellez toujours les noms de médicaments comme Alpha-Mike-Papa-I-C-I-L-L-I-N.
- Ne jamais utiliser d’abréviations. Dites toujours « deux fois par jour », pas « BID ».
- Interdisez les ordonnances verbales pour les médicaments à risque sauf en urgence vitale.
- Documentez tout immédiatement : nom du patient, médicament, dose, voie, fréquence, indication, nom du prescripteur, heure et date.
Une ordonnance verbale n’est pas une conversation. C’est une transaction de vie ou de mort. Traitez-la comme telle.
Pourquoi la lecture à voix haute est-elle obligatoire pour les ordonnances verbales ?
La lecture à voix haute est obligatoire parce qu’elle crée une double vérification auditive entre le prescripteur et le récepteur. Selon les normes du Joint Commission, cette pratique réduit les erreurs de médication de jusqu’à 50 %. Sans elle, les erreurs dues à la confusion de mots sonores, à l’accent, ou au bruit ambiant ne peuvent pas être détectées à temps. C’est la seule méthode validée scientifiquement pour prévenir les accidents liés aux ordonnances orales.
Quels médicaments sont interdits en ordonnance verbale ?
Les ordonnances verbales sont interdites pour les médicaments à haut risque sauf en urgence vitale : l’insuline, l’héparine, les opioïdes (morphine, fentanyl), et la chimiothérapie (sauf pour la suspension). Ces médicaments peuvent causer des dommages graves ou mortels en cas de surdosage ou d’erreur. Même en urgence, ils doivent être suivis d’une lecture à voix haute et d’une documentation immédiate.
Puis-je faire une ordonnance verbale pour un patient en ambulatoire ?
Oui, mais avec plus de précautions. En ambulatoire, les ordonnances verbales représentent jusqu’à 25 % des prescriptions, car les systèmes électroniques sont moins accessibles. Il faut alors utiliser la lecture à voix haute, épelé phonétique, et transcrire immédiatement dans le dossier du patient. Toute ordonnance verbale doit être signée par le médecin dans les 24 heures, et non dans les 48 heures comme dans les hôpitaux.
Que faire si un médecin refuse de faire la lecture à voix haute ?
Refusez d’appliquer l’ordonnance. Dites clairement : « Je ne peux pas administrer ce médicament sans vérification complète. » Notez la situation dans le dossier. Signalez-la à votre superviseur ou au service de sécurité des patients. Votre responsabilité est de protéger le patient, pas d’obéir à une demande risquée. Plus de 87 % des infirmières soutiennent cette position selon l’Association américaine des infirmières (2022).
Les assistants peuvent-ils saisir les ordonnances verbales à ma place ?
Oui, mais uniquement si le médecin donne l’ordre en direct, en votre présence, et que vous vérifiez que la saisie est exacte. Le CMS autorise les assistants autorisés à saisir les ordonnances à la demande du prescripteur, mais la responsabilité finale reste votre responsabilité. Vous devez toujours confirmer la lecture à voix haute avant que la saisie soit validée.