Quand un laboratoire développe un nouveau médicament, il ne s’agit pas seulement de chimie ou de biologie. Il y a aussi un brevet qui protège l’investissement. Ce brevet, c’est la clé qui permet à une entreprise de vendre son produit sans concurrence pendant une vingtaine d’années. Mais ce système, conçu pour encourager l’innovation, a aussi un côté obscur : il retarde l’arrivée de versions moins chères, les génériques. Comment ce déséquilibre fonctionne-t-il vraiment ? Et pourquoi, malgré les critiques, il n’a pas été aboli ?
Le brevet, un monopole temporaire pour financer l’innovation
Un brevet pharmaceutique donne à l’entreprise qui a développé un médicament le droit exclusif de le produire et de le vendre pendant 20 ans à partir de la date de dépôt. En théorie, c’est simple : plus de concurrence, plus de prix élevés, plus de revenus pour financer la prochaine recherche. En pratique, la réalité est plus compliquée. La plupart des médicaments mettent entre 10 et 15 ans à passer de la découverte en laboratoire à la mise sur le marché. Cela signifie que, une fois le brevet accordé, il ne reste souvent que 12 à 14 ans pour rentabiliser les coûts.
Le coût moyen pour développer un nouveau médicament est estimé à 2,6 milliards de dollars, selon une étude du Tufts Center for the Study of Drug Development. Pourquoi tant ? Parce qu’il faut tester des milliers de molécules, mener des essais cliniques sur des milliers de patients, répondre aux exigences de l’Agence américaine des médicaments (FDA) ou de l’Agence européenne (EMA). Sans brevet, aucune entreprise ne prendrait ce risque. Personne ne va investir des milliards dans un projet où un concurrent peut copier le produit dès qu’il sort du laboratoire.
Le système Hatch-Waxman : l’équilibre fragile entre innovation et accès
En 1984, les États-Unis ont créé une loi qui a changé la donne : le Drug Price Competition and Patent Term Restoration Act, mieux connu sous le nom de Hatch-Waxman. Cette loi, nommée d’après les deux sénateurs qui l’ont rédigée, a établi un compromis historique. D’un côté, elle protège les innovateurs en leur accordant une prolongation de brevet pour compenser le temps perdu pendant l’approbation réglementaire. De l’autre, elle ouvre la voie aux génériques en permettant aux fabricants de les développer avant l’expiration du brevet, à condition de ne pas les vendre avant.
Ce système repose sur deux mécanismes : l’exclusivité de brevet (délivrée par le Bureau des brevets) et l’exclusivité réglementaire (délivrée par la FDA). Ensemble, ils créent un cadre clair. Les fabricants de génériques peuvent soumettre une demande d’autorisation de mise sur le marché (ANDA) avant la fin du brevet. Mais ils doivent déclarer comment ils vont contourner les brevets. C’est ici que l’opération devient stratégique.
La certification Paragraph IV : la guerre des brevets avant même la vente
La partie la plus critique du système est la certification Paragraph IV. Quand un fabricant de génériques dépose sa demande, il peut affirmer que le brevet du médicament original est invalide ou qu’il n’est pas enfreint. C’est un défi direct. Et ça déclenche une réaction immédiate : l’entreprise originale a 45 jours pour intenter un procès en contrefaçon. Dès lors, la FDA ne peut pas approuver le générique pendant 30 mois - un délai automatique, même si le brevet est clairement nul.
Ce mécanisme est un puissant levier pour les laboratoires innovants. Ils n’ont pas besoin de prouver que leur brevet est valide. Ils n’ont qu’à attaquer en justice. Et la simple menace d’un procès peut retarder l’entrée du générique de plusieurs années. En 2020, le délai moyen entre l’expiration du brevet et l’arrivée du premier générique est passé à 3,6 ans, contre 2,1 ans en 2005. Pourquoi ? Parce que les procès se multiplient, les brevets s’accumulent, et les stratégies juridiques deviennent plus complexes.
Le prix de la concurrence : quand les génériques arrivent
Quand le générique entre enfin sur le marché, tout change. Le premier fabricant à avoir réussi à contourner le brevet bénéficie d’une exclusivité de 180 jours. Pendant cette période, il est le seul générique autorisé. C’est une opportunité financière énorme. Les pharmacies sont obligées, dans la plupart des États, de proposer le générique à la place du médicament de marque - une loi appelée « substitution obligatoire ».
Et les prix ? Ils s’effondrent. En moyenne, le premier générique réduit le prix de 70 % dans les six mois. Avec deux ou trois concurrents, la baisse peut atteindre 80 à 90 %. L’exemple de Prozac, le médicament d’Eli Lilly pour la dépression, est emblématique : dès que son brevet a expiré en 2001, les ventes aux États-Unis ont chuté de 70 %, soit 2,4 milliards de dollars de revenus perdus en une année. Aujourd’hui, les génériques représentent 91 % des prescriptions aux États-Unis, mais seulement 24 % des dépenses totales en médicaments. Ils ont sauvé plus de 373 milliards de dollars en 2022, selon la FDA.
Le piège de l’« evergreening » : quand les brevets deviennent un outil de manipulation
Mais tout n’est pas transparent. Les laboratoires innovants utilisent souvent une stratégie appelée « evergreening » - littéralement, « rendre vert pour toujours ». Ils déposent des brevets secondaires sur des détails mineurs : une nouvelle forme de comprimé, un dosage différent, un procédé de fabrication. Ce n’est pas de la contrefaçon. C’est légal. Mais c’est une façon de prolonger artificiellement le monopole.
Humira, le traitement contre les maladies auto-immunes d’AbbVie, est un cas extrême : plus de 240 brevets ont été déposés sur ce seul médicament. Certains couvrent des choses aussi minimes qu’un emballage ou une méthode d’injection. Résultat ? Malgré l’expiration du brevet principal en 2016, les génériques n’ont pu entrer aux États-Unis qu’en 2023. En Europe, où les règles sont plus strictes, les biosimilaires sont arrivés en 2018. Cette pratique est critiquée par la Commission européenne, qui la considère comme un abus de position dominante.
Les nouvelles batailles : les accords « pay-for-delay » et les lois récentes
Un autre problème : les accords « pay-for-delay ». Parfois, les laboratoires de marque paient les fabricants de génériques pour qu’ils retardent leur entrée sur le marché. Ce n’est pas une coïncidence. C’est un contrat. La Commission fédérale du commerce (FTC) estime que ces accords coûtent aux consommateurs américains 3,5 milliards de dollars par an. Des lois comme la Preserve Access to Affordable Generics and Biosimilars Act cherchent à les interdire, mais elles butent sur la résistance des lobbies pharmaceutiques.
En 2022, le Congrès a adopté la loi CREATES pour empêcher les laboratoires de refuser de vendre des échantillons aux fabricants de génériques - une pratique utilisée pour bloquer les tests de bioéquivalence. C’est un pas en avant, mais ce n’est qu’un début. Les procédures de révision inter partes (IPR) au Bureau des brevets sont aussi attaquées en justice, avec des juges qui remettent en question leur constitutionnalité. Le système est sous pression.
Le futur : un équilibre encore plus fragile
Aujourd’hui, 97 % des demandes de génériques utilisent toujours la procédure Paragraph IV. Le délai de 30 mois reste un pilier. Mais les coûts des médicaments continuent d’augmenter. En 2022, les dépenses en médicaments sur ordonnance ont atteint 621 milliards de dollars - 22 % de la totalité des dépenses de santé aux États-Unis. Les patients paient plus, les assureurs cherchent à réduire les coûts, et les gouvernements cherchent des solutions.
Le système Hatch-Waxman n’est pas parfait. Il favorise les grands laboratoires. Il pénalise les patients. Il encourage les stratégies juridiques plutôt que l’innovation réelle. Mais il a aussi permis l’arrivée de dizaines de milliers de génériques, abordables et efficaces. Il a rendu possible l’accès à des traitements pour des maladies autrefois inabordables.
La question n’est plus de savoir si les brevets doivent exister. Elle est de savoir comment les encadrer pour qu’ils protègent l’innovation - sans bloquer l’accès à la santé.
Pourquoi les génériques sont-ils si moins chers que les médicaments de marque ?
Les génériques ne coûtent pas cher parce qu’ils n’ont pas à refaire les coûteux essais cliniques. Ils doivent seulement prouver qu’ils sont bioéquivalents au médicament d’origine - c’est-à-dire qu’ils agissent de la même manière dans le corps. Les laboratoires de marque ont déjà payé les études de sécurité et d’efficacité. Les fabricants de génériques profitent de ce travail, ce qui réduit leurs coûts de développement de 80 à 90 %. Leur prix reflète donc uniquement la production, pas la R&D.
Les brevets protègent-ils vraiment l’innovation ou juste les profits ?
Les brevets protègent les deux, mais pas toujours équitablement. Ils permettent aux entreprises de récupérer leur investissement dans la recherche - ce qui est essentiel pour développer de nouveaux traitements. Mais ils sont aussi utilisés comme des outils de prolongation de monopole, notamment avec les brevets secondaires. La ligne entre innovation et manipulation est fine. Ceux qui défendent les brevets disent qu’ils encouragent la recherche. Ceux qui les critiquent disent qu’ils retardent l’accès aux médicaments pour maximiser les profits.
Pourquoi les génériques n’arrivent-ils pas plus vite après l’expiration du brevet ?
Parce que les laboratoires de marque utilisent des stratégies juridiques pour les bloquer. La certification Paragraph IV déclenche un procès automatique, qui entraîne un délai de 30 mois pour l’approbation du générique. Même si le brevet est invalide, le délai s’applique. De plus, les entreprises déposent des brevets secondaires pour créer des « épaisseurs » de protection. Il faut donc contester chaque brevet un par un, ce qui prend des années. Le délai moyen est passé de 2,1 ans en 2005 à 3,6 ans en 2020.
Qu’est-ce que le « Orange Book » et pourquoi est-il important ?
Le Orange Book est un registre public tenu par la FDA qui liste tous les médicaments approuvés avec les brevets associés. C’est la base de données que les fabricants de génériques consultent pour savoir quels brevets ils doivent contester avant de lancer un produit. Sans cette transparence, il serait impossible de prévoir les obstacles juridiques. Mais il est aussi critiqué pour permettre le « patent thicketing » - le fait de lister des centaines de brevets mineurs pour noyer les concurrents.
Les brevets sur les médicaments biologiques fonctionnent-ils comme ceux sur les médicaments classiques ?
Pas vraiment. Les médicaments biologiques, comme les anticorps monoclonaux, sont beaucoup plus complexes à reproduire que les molécules chimiques. Leur équivalent, appelé biosimilaire, ne peut pas être déclaré « identique » - seulement « similaire ». Le processus de mise sur le marché est plus long, et les règles de brevet sont plus floues. La décision de la cour fédérale en 2017 dans l’affaire Amgen contre Sandoz a créé un vide juridique en rejetant les règles de « patent dance » - une procédure censée faciliter les négociations entre laboratoires. Depuis, les litiges sont plus longs et plus incertains.
Que faire face à ce système ?
Le système actuel n’est pas cassé - il est conçu pour fonctionner ainsi. Mais il est de plus en plus utilisé pour protéger les profits plutôt que l’innovation. La solution n’est pas d’abolir les brevets, mais de les encadrer plus strictement. Interdire les accords « pay-for-delay ». Limiter les brevets secondaires. Accélérer les procédures de révision des brevets. Renforcer la transparence du Orange Book.
Les génériques ne sont pas une menace. Ils sont la preuve que l’innovation a réussi. Sans brevets, pas de nouveaux médicaments. Sans génériques, pas d’accès à la santé. Le défi du XXIe siècle, c’est de faire coexister les deux - sans que l’un étouffe l’autre.
Kitt Eliz
Le système Hatch-Waxman ? C’est du pur lobbying pharmaceutique avec une couche de jargon juridique pour faire croire que c’est scientifique. 🤯 Les brevets secondaires, c’est du « patent thicketing » à l’état pur - 240 brevets sur Humira ?! C’est pas de l’innovation, c’est du piratage légal. Et les « pay-for-delay » ? Des accords de corruption sous couvert de droit. 🚨 La FDA devrait être indépendante, pas une filiale de Big Pharma.