Les médicaments que prennent les personnes âgées ne fonctionnent plus comme avant. Ce n’est pas une question de résistance ou de mauvaise foi. C’est une question de biologie. Le foie et les reins, deux organes essentiels pour éliminer les médicaments du corps, changent avec l’âge. Et ces changements, souvent invisibles, peuvent transformer une dose normale en poison.
Le foie ralentit, mais pas comme on le pense
Le foie d’une personne de 70 ans n’est plus le même qu’à 30 ans. Il perd environ 30 % de sa masse. Le flux sanguin qui le traverse diminue de 40 %. Ces deux facteurs ensemble ralentissent la capacité du foie à traiter les médicaments. Mais ce n’est pas aussi simple qu’un moteur qui tourne moins vite.
Certaines molécules, comme le propranolol ou la morphine, dépendent entièrement du flux sanguin pour être métabolisées. Pour elles, une baisse de 40 % du flux = une baisse de 40 % de l’élimination. Le médicament reste plus longtemps dans le sang. Résultat : des effets secondaires comme des étourdissements, une pression artérielle trop basse, ou même une somnolence dangereuse.
D’autres médicaments, comme le diazépam ou la phénytoïne, ne dépendent pas du flux. Ils sont traités par des enzymes. Et là, la bonne nouvelle : ces enzymes, dans la plupart des cas, gardent presque toute leur activité. Leur nombre, leur forme, leur fonctionnement ne baissent que de 10 à 15 %. Cela signifie que pour ces médicaments, la dose initiale peut rester la même - à condition de surveiller d’autres facteurs.
Le piège ? Les prodrugs. Ce sont des médicaments inactifs qui doivent être transformés par le foie pour agir. Le perindopril, par exemple, un traitement de l’hypertension, devient actif grâce au foie. Si le foie ralentit, le médicament ne se transforme pas bien. Le patient ne reçoit pas l’effet attendu, et le médecin, voyant que la pression n’a pas baissé, augmente la dose… ce qui peut causer une surcharge plus tard.
Les reins ne filtrent plus, mais la créatinine ment
Les reins, eux, filtrent les déchets et les médicaments. Entre 30 et 80 ans, leur capacité de filtration - appelée débit de filtration glomérulaire (DFG) - diminue de 30 à 50 %. C’est énorme. Et pourtant, on ne le voit pas toujours.
Les médecins regardent souvent la créatinine dans le sang pour évaluer la fonction rénale. Mais chez les personnes âgées, la masse musculaire diminue. Moins de muscles = moins de créatinine produite. Donc, même si les reins sont très faibles, la créatinine peut rester dans la plage « normale ». C’est un faux signal. Un piège mortel.
Les médicaments éliminés par les reins - comme la metformine, le lithium, ou la vancomycine - s’accumulent rapidement. Une dose standard pour un adulte jeune peut devenir toxique pour une personne âgée. C’est pourquoi des outils comme l’équation CKD-EPI (sans ajustement racial) sont maintenant préférés à l’ancienne formule de Cockcroft-Gault. Ils donnent une estimation plus juste du DFG.
Et il y a un lien caché : une insuffisance rénale peut aussi ralentir le foie. Des études récentes montrent que quand les reins ne filtrent pas bien, certaines enzymes du foie (les CYP) ralentissent aussi. C’est une boucle vicieuse. Un médicament qui devrait être éliminé par les reins peut finir par être mal métabolisé par le foie, et vice versa.
Les médicaments qui tuent les seniors
En France, 10 % des hospitalisations chez les plus de 65 ans sont causées par des réactions indésirables aux médicaments. Ce n’est pas une statistique lointaine. C’est votre mère, votre père, votre voisin.
La combinaison de plusieurs médicaments - ce qu’on appelle la polypharmacie - augmente ce risque de 88 %. Prenez une personne de 80 ans qui prend : un antihypertenseur, un antidouleur, un somnifère, un traitement pour le cholestérol, et un diurétique. Cinq médicaments. Chacun est prescrit pour un problème spécifique. Mais ensemble, ils surchargent le foie et les reins.
Un cas réel : une femme de 82 ans commence de l’amitriptyline pour des douleurs chroniques. Dose standard : 25 mg. Trois jours plus tard, elle tombe en se levant, se blesse à la hanche. Résultat de l’analyse : la dose était trop élevée. Son foie ne métabolisait plus bien. Le médicament s’accumulait. Elle n’avait pas de maladie du foie. Elle avait juste 82 ans.
Un autre exemple : l’acétaminophène. Ce médicament, souvent pris en automédication pour les maux de tête, est responsable de 50 % des insuffisances hépatiques aiguës chez les seniors. Pourquoi ? Parce que le foie âgé ne le dégrade pas bien. Et les gens ne savent pas qu’ils en prennent déjà dans d’autres médicaments (comme les analgésiques combinés).
Comment ajuster les doses ? Les règles simples
Il n’y a pas de formule magique. Mais il y a des règles claires, validées par des décennies de recherche.
- Pour les médicaments traités par le foie : commencez avec 20 à 40 % de la dose standard. Pour les plus de 75 ans, réduisez encore.
- Pour les médicaments éliminés par les reins : calculez le DFG avec l’équation CKD-EPI. Ne vous fiez pas à la créatinine seule.
- Évitez les médicaments listés dans les critères de Beers®. Ce sont des médicaments à risque pour les seniors, comme les benzodiazépines, les anticholinergiques, ou certains antidouleurs.
- Utilisez les critères STOPP/START. STOPP vous dit quels médicaments arrêter. START vous dit quels médicaments manquent et qu’il faut prescrire.
Un médecin qui suit ces règles réduit les réactions indésirables de 22 %, selon une méta-analyse publiée en 2020. Ce n’est pas une petite amélioration. C’est une vie sauve.
Le futur : des doses personnalisées, pas des doses par âge
On ne traite plus les personnes âgées comme un groupe homogène. Le futur, c’est la pharmacologie de précision.
Le logiciel GeroDose v2.1, approuvé par la FDA en 2023, permet de simuler comment un médicament va se comporter dans le corps d’un patient en fonction de son âge, de sa masse musculaire, de son DFG, et même de ses enzymes hépatiques. Ce n’est plus une estimation. C’est une prédiction.
Des études récentes montrent que des modifications épigénétiques - des changements dans l’expression des gènes - expliquent pourquoi deux personnes de 80 ans réagissent totalement différemment au même médicament. L’une a un CYP3A4 très actif. L’autre, presque inactif. La différence ? Pas l’âge. La génétique. L’environnement. Le mode de vie.
La recherche du NIH prévoit d’investir 150 millions de dollars dans ce domaine d’ici 2026. Le but ? Des algorithmes qui, en quelques clics, disent : « Pour cette personne, à ce poids, avec ce DFG et ce taux de protéines, la dose optimale est de 12 mg. »
En 2030, on pourrait réduire les réactions indésirables de 35 à 50 %. Ce n’est pas un rêve. C’est une trajectoire déjà tracée.
Que faire maintenant ?
Si vous ou un proche prenez cinq médicaments ou plus, posez-vous ces questions :
- Quels médicaments sont vraiment nécessaires ?
- Est-ce qu’on a vérifié la fonction rénale avec le DFG, et pas juste la créatinine ?
- Est-ce qu’on a réduit les doses pour l’âge ?
- Est-ce qu’on a regardé les interactions avec les compléments ou les médicaments en vente libre ?
Ne laissez pas la routine prendre le dessus. Une dose qui a bien fonctionné à 65 ans peut devenir dangereuse à 75. La médecine ne s’arrête pas à la prescription. Elle continue à la surveillance.
Pourquoi les médicaments font-ils plus d’effet chez les personnes âgées ?
Parce que le foie et les reins ne fonctionnent plus aussi bien. Le foie métabolise moins vite, donc les médicaments restent plus longtemps dans le sang. Les reins filtrent moins, donc les médicaments éliminés par les reins s’accumulent. Cela augmente les risques d’effets secondaires, même avec des doses normales.
La créatinine dans le sang est-elle un bon indicateur de la fonction rénale chez les seniors ?
Non. Chez les personnes âgées, la masse musculaire diminue, ce qui fait baisser naturellement la créatinine. Un taux « normal » peut cacher une insuffisance rénale grave. Il faut calculer le débit de filtration glomérulaire (DFG) avec l’équation CKD-EPI, qui prend en compte l’âge, le sexe, et la taille, mais pas la race.
Quels médicaments faut-il éviter chez les personnes âgées ?
Les critères de Beers® listent les médicaments à risque : les benzodiazépines (comme le lorazépam), les anticholinergiques (comme la diphenhydramine), certains antidouleurs comme l’indométacine, et les neuroleptiques. Ces médicaments augmentent le risque de chutes, de confusion, ou d’insuffisance hépatique.
Est-ce que les médicaments en vente libre sont sûrs pour les seniors ?
Pas toujours. L’acétaminophène (paracétamol) est la cause la plus fréquente d’insuffisance hépatique aiguë chez les seniors, surtout s’il est pris en combinaison avec d’autres médicaments ou en excès. Les anti-inflammatoires comme l’ibuprofène peuvent endommager les reins. Toujours demander à un médecin ou un pharmacien avant de les prendre.
Comment savoir si la dose d’un médicament est trop élevée ?
Regardez les signes : étourdissements, somnolence, confusion, chutes, perte d’appétit, nausées. Si ces symptômes apparaissent après un changement de médicament, c’est un avertissement. Parlez-en à votre médecin. Faites vérifier la fonction rénale et hépatique. La dose peut être trop élevée pour votre âge, même si elle est « standard ».
Les changements du foie et des reins ne sont pas une maladie. Ce sont des conséquences naturelles du vieillissement. Mais elles doivent être prises au sérieux. Un médicament bien prescrit, bien dosé, bien surveillé, peut sauver une vie. Un médicament mal utilisé, même à dose « normale », peut la briser.
Fabienne Paulus
Je viens de relire ça en pensant à ma mère qui prend 7 médicaments… J’ai appelé son médecin ce matin. On a réduit la dose de son somnifère et supprimé l’ibuprofène. Elle dit qu’elle se sent moins lourde. Merci pour cet article, c’est comme si on avait mis des mots sur ce qu’on ressentait sans oser le dire.
On ne parle jamais de ça. On dit juste « elle vieillit ».
Anne Ruthmann
La pharmacologie gériatrique est un champ de mine. Le DFG estimé via CKD-EPI est la seule approche validée, contrairement à l’obsolescence de Cockcroft-Gault. Les critères de Beers® sont un minimum éthique, pas une option. L’acétaminophène à >3g/j chez les seniors est un acte de négligence pharmacologique.
Angelique Reece
Je me suis rendu compte que mon père prenait du paracétamol en cachette… parce qu’il avait peur de « gâcher » ses médicaments. On a parlé. Il pleurait. On a changé tout ça.
❤️ Merci d’avoir mis ça en lumière. C’est pas juste de la science, c’est de l’amour.
Didier Djapa
L’article est rigoureux et bien structuré. Il souligne l’urgence d’une approche individualisée en gériatrie pharmaceutique. La notion de prodrugs mal métabolisés est particulièrement pertinente. Je recommande vivement cette lecture aux internes en médecine interne.
Guillaume Carret
Oh cool, un article qui dit que les vieux sont des usines à médicaments cassées. Super. Et maintenant on va leur dire de ne pas prendre de trucs parce que leur foie est « trop vieux » ?
Et si on arrêtait de traiter les gens comme des machines qui tombent en panne à 70 ans ?
marielle martin
Je me suis mise à pleurer en lisant le cas de la femme de 82 ans qui est tombée à cause de l’amitriptyline…
C’est MA TANTE. Elle est toujours en convalescence. J’ai fait un stage en pharmacie et j’ai vu ça trop souvent. On prescrit, on prescrit, on prescrit… et personne ne regarde derrière.
Je suis en colère. Et triste.
Romain Brette
les mecs qui disent que le foie ralentit avec lage cest du gros connerie jai 78 ans et je bois 2 bouteilles de vin par jour et mon foie va comme une fusée
vous etes tous des medecins qui ont peur de la vie reelle
mathieu Viguié
Le vrai problème, ce n’est pas seulement le foie ou les reins. C’est qu’on traite les symptômes sans jamais regarder pourquoi ils apparaissent.
Une douleur chronique, c’est souvent un signal d’alerte. On la couvre avec un antidouleur, on ajoute un somnifère pour le stress, puis un diurétique pour la rétention, puis un anticholinergique pour la sécheresse buccale…
Et on s’étonne que le patient soit dans un état de confusion totale.
On ne soigne pas la personne. On soigne les cases du dossier médical.
La solution ? Moins de médicaments. Plus d’écoute. Et surtout : arrêter de voir la vieillesse comme une maladie à corriger.