Syndrome de Stevens-Johnson et nécrolyse épidermique toxique : des urgences médicamenteuses à ne pas sous-estimer

Quand un médicament devient une menace mortelle

Vous prenez un médicament pour une migraine, une épilepsie, ou une infection. Rien de grave, pensez-vous. Mais quelques jours plus tard, votre peau commence à brûler. Vos yeux deviennent rouges, votre bouche saigne. En moins de 48 heures, des cloques apparaissent, votre peau se détache comme du papier déchiré. Ce n’est pas une simple éruption. C’est le syndrome de Stevens-Johnson (SJS) ou sa forme la plus grave, la nécrolyse épidermique toxique (TEN). Ces réactions sont rares - environ 1 à 2 cas pour un million de personnes par an - mais elles tuent jusqu’à 30 % des patients atteints de TEN. Et elles commencent souvent avec ce que tout le monde prend pour un simple rhume.

Comment ça commence ? Les signes que vous ne devez pas ignorer

La plupart des gens ne reconnaissent pas les premiers signes. Ils pensent : « J’ai une fièvre, je suis fatigué, c’est juste une grippe. » Mais dans le cas du SJS ou du TEN, ces symptômes sont le prélude à une catastrophe. En 24 à 72 heures, la fièvre, la fatigue et les douleurs articulaires sont suivies par une éruption cutanée douloureuse, rouge ou violacée, qui se propage rapidement. Ce n’est pas une éruption bénigne. Elle évolue en cloques remplies de liquide, puis en zones de peau morte qui se détachent. En même temps, les muqueuses - les yeux, la bouche, le nez, les organes génitaux - s’ulcèrent. Vous ne pouvez plus avaler, plus ouvrir les yeux, plus uriner sans douleur.

La clé ? Ne pas attendre. Si vous avez pris un médicament récemment - surtout dans les 8 semaines suivant le début du traitement - et que vous avez une éruption + des lésions dans la bouche ou les yeux, allez directement aux urgences. Pas à votre médecin de famille. Pas à la pharmacie. Aux urgences. Chaque heure compte.

Quels médicaments sont en cause ?

Il n’y a pas un seul médicament coupable, mais une liste bien précise. Selon les données de l’NHS et des études cliniques, certains sont particulièrement à risque :

  • Allopurinol (pour la goutte)
  • Lamotrigine (pour l’épilepsie et les troubles bipolaires)
  • Carbamazépine et phénytoïne (anticonvulsivants)
  • Nevirapine (contre le VIH)
  • Sulfaméthoxazole (antibiotique, souvent en association avec le triméthoprime)
  • Piroxicam et méloxicam (anti-inflammatoires non stéroïdiens, les oxicams)
  • Phénobarbital (sédatif et anticonvulsivant)

Le plus dangereux ? La lamotrigine. Les cas de SJS surviennent souvent lorsqu’on augmente la dose trop vite, ou quand on l’arrête brusquement puis la reprend sans réduction progressive. Même les gens qui ont déjà eu une éruption bénigne avec un anticonvulsivant sont à risque. Et attention : si vous avez eu une réaction avec un médicament, vous ne pouvez plus en prendre un autre de la même famille. Par exemple, si vous avez eu une réaction à la carbamazépine, évitez la phénytoïne, la fenobarbital, et même la lamotrigine. Les réactions croisées sont fréquentes.

Qui est le plus à risque ?

Ce n’est pas une question de vieillissement ou de mode de vie. Certains facteurs augmentent le risque de façon précise :

  • Avoir déjà eu une réaction cutanée grave à un médicament
  • Être porteur du gène HLA-B*15:02 (surtout chez les personnes d’origine asiatique)
  • Être atteint du VIH
  • Prendre de la valproate de sodium en même temps que de la lamotrigine
  • Avoir un système immunitaire affaibli (chimiothérapie, corticoïdes à long terme)
  • Avoir un proche qui a déjà eu un SJS/TEN

Les enfants sont plus touchés que les adultes, mais les adultes plus âgés ont un taux de mortalité plus élevé. Ce n’est pas une maladie aléatoire. C’est une réaction génétique déclenchée par un médicament. Et si vous avez un antécédent familial, ou une maladie auto-immune, parlez-en à votre médecin avant de commencer un nouveau traitement.

Scène d'urgence médicale avec un patient dont la peau se détache, entouré de médecins en action, dans un style cartoon rétro.

Comment on diagnostique ?

Il n’y a pas d’analyse de sang qui confirme le SJS ou le TEN. Le diagnostic repose sur l’apparence de la peau, les lésions muqueuses, et surtout, un biopsie de peau. Le pathologiste cherche une nécrose complète de l’épiderme - la couche supérieure de la peau - avec peu ou pas d’inflammation. C’est ce qui distingue le SJS/TEN des autres éruptions. Si la peau détachée couvre moins de 10 % du corps, c’est du SJS. Entre 10 et 30 %, c’est un syndrome de chevauchement. Plus de 30 %, c’est du TEN. Et plus la surface touchée est grande, plus le risque de mort est élevé.

Le temps entre les premiers symptômes et l’hospitalisation est le facteur le plus déterminant pour la survie. Une étude du Mayo Clinic montre que les patients hospitalisés dans les 24 heures ont 40 % moins de risques de mourir que ceux qui attendent 5 jours.

Que fait-on à l’hôpital ?

La première règle : arrêter immédiatement le médicament suspect. Pas d’hésitation. Pas d’attente. Même si vous ne savez pas lequel c’est, on arrête tout ce qui est nouveau depuis 3 semaines.

Ensuite, on vous transfère en unité de brûlés ou en réanimation. Pourquoi ? Parce que votre peau ne protège plus rien. Vous perdez des fluides, vous avez un risque élevé d’infection, de choc septique, de déshydratation. On vous donne des liquides par voie intraveineuse, on désinfecte vos plaies comme on le ferait pour un brûlé, on vous aide à respirer si vos voies aériennes sont enflées. On vous donne des analgésiques puissants - la douleur est insoutenable.

Il n’existe pas de traitement miracle. Les immunoglobulines, les corticoïdes, les cyclosporines - on les teste, mais les preuves sont limitées. Ce n’est pas un traitement médical, c’est un soutien intensif. La survie dépend de votre âge, de la surface de peau touchée, et de la rapidité avec laquelle vous avez été pris en charge.

Les séquelles qui durent toute la vie

Si vous survivez, ce n’est pas fini. Les complications sont nombreuses, et souvent invisibles pour les autres.

  • Les yeux : 30 à 50 % des survivants développent des séquelles oculaires graves - sécheresse chronique, cicatrices de la cornée, perte de vision, voire cécité. Un suivi ophtalmologique annuel est obligatoire pendant au moins un an.
  • La bouche et la gorge : des cicatrices peuvent rétrécir l’œsophage, rendant la déglutition impossible. Des caries et des maladies parodontales apparaissent à cause de la sécheresse buccale.
  • La peau : des cicatrices, une dépigmentation, une perte de cheveux, des ongles déformés ou absents. Les ongles peuvent repousser, mais pas toujours.
  • Les organes génitaux : chez les femmes, des adhérences peuvent fermer le vagin. Chez les hommes, le prépuce peut se cicatriser en une membrane étroite (phimosis), nécessitant une chirurgie.
  • Les poumons et les reins : des embolies pulmonaires, des pneumonies, des insuffisances rénales peuvent survenir même des semaines après la crise.

Un patient sur trois ne retrouvera jamais une qualité de vie normale. Et pourtant, la plupart des médecins ne parlent pas de ces risques avant de prescrire un médicament.

Famille regardant une liste de médicaments dangereux avec un marqueur génétique lumineux, dans un style cartoon des années 1960.

Comment éviter ça ?

La prévention est possible. Voici ce que vous devez faire :

  1. Si vous commencez un traitement avec lamotrigine, carbamazépine, ou allopurinol, ne changez pas la dose vous-même. Suivez strictement la progression prévue par votre médecin.
  2. Ne prenez jamais un nouveau médicament, ni un complément alimentaire, pendant les 3 premiers mois d’un traitement à risque.
  3. Si vous avez déjà eu une éruption avec un anticonvulsivant, ne réessayez jamais un médicament de la même famille.
  4. Conservez une liste écrite de tous les médicaments qui vous ont causé des réactions. Montrez-la à chaque nouveau médecin.
  5. Si vous êtes d’origine asiatique, demandez un test génétique (HLA-B*15:02) avant de prendre de la carbamazépine ou de la phenytoïne. Ce test peut sauver votre vie.

Et surtout : ne sous-estimez jamais une éruption cutanée pendant un traitement. Même une petite rougeur sur le torse, accompagnée de fièvre, peut être le début du SJS. Une seconde d’hésitation peut coûter votre vie.

Que faire en cas de doute ?

Si vous ou un proche présentez :

  • Une éruption cutanée soudaine, douloureuse, avec des cloques
  • Des ulcères dans la bouche, les yeux ou les organes génitaux
  • Une fièvre qui ne passe pas
  • Une peau qui se détache comme du papier

Allez directement aux urgences. Dites clairement : « Je pense avoir un syndrome de Stevens-Johnson ou une nécrolyse épidermique toxique. J’ai pris [nom du médicament] il y a [nombre de jours]. » Ne laissez personne vous dire que c’est « juste une allergie ». C’est une urgence vitale. Et vous avez raison d’être inquiet.

Les chiffres qui parlent

Le syndrome de Stevens-Johnson touche 1 à 6 personnes par million par an. La nécrolyse épidermique toxique, 0,4 à 1,2. Mais les taux de mortalité sont effrayants :

  • SJS : 5 à 10 % de décès
  • Syndrome de chevauchement : 10 à 30 %
  • TEN : jusqu’à 30 à 50 %

Et pourtant, 80 % des cas sont causés par des médicaments que les médecins prescrivent encore tous les jours. Ce n’est pas une maladie rare. C’est une erreur de traitement répétée.