Pénuries dans le système de santé : impacts sur les hôpitaux et les cliniques

Les hôpitaux et les cliniques en France, comme partout dans le monde, ne fonctionnent plus comme avant. Les lits restent vides, pas parce qu’il n’y a pas de patients, mais parce qu’il n’y a plus assez de personnel pour les soigner. Les infirmières travaillent 16 heures d’affilée. Les urgences attendent des jours. Les médecins doivent choisir qui soigner en premier. Ce n’est pas une scène de film. C’est la réalité quotidienne depuis 2023, et ça empire.

Le manque de personnel, pas seulement des médicaments

Quand on parle de pénuries dans le système de santé, on pense souvent aux médicaments. Mais le vrai goulot d’étranglement, c’est les gens. En 2025, plus de 78 000 postes d’infirmières sont vacants en France. Ce chiffre ne comprend même pas les aides-soignants, les techniciens de laboratoire ou les psychologues. Selon les données de l’Agence nationale de santé publique, 42 % des établissements hospitaliers ont du mal à maintenir un ratio de 1 infirmière pour 4 patients. Dans les services de réanimation, ce ratio monte parfois à 1 pour 6. Et quand il dépasse 1 pour 5, les risques de décès augmentent de 7 %, selon une étude publiée dans JAMA en 2022.

Le problème, c’est que les infirmières partent. Près de la moitié d’entre elles ont plus de 50 ans. Dans les 10 à 15 prochaines années, un tiers d’entre elles prendront leur retraite. Et il n’y a pas assez de nouvelles recrues pour les remplacer. En 2023, plus de 2 300 candidats qualifiés ont été refusés dans les écoles d’infirmières, simplement parce qu’il n’y avait pas assez de professeurs pour les former. C’est un cercle vicieux : pas assez de professeurs → pas assez d’étudiants → pas assez d’infirmières → plus de stress → plus de départs.

Les urgences, les premières victimes

Les services d’urgence sont devenus des champs de bataille. À Toulouse, comme dans beaucoup de villes de province, les patients attendent parfois plus de 72 heures pour être vus. Ce n’est pas une exception. Selon l’Association française des urgences, le temps d’attente moyen a augmenté de 22 % depuis 2022. Les patients arrivent avec des crises cardiaques, des infections graves, des traumatismes. Et les équipes sont épuisées. Certaines cliniques ont dû fermer des lits parce qu’il n’y avait personne pour les surveiller. D’autres ont mis en place des équipes de soutien psychologique, appelées « code lavande », pour aider le personnel à tenir.

Les médecins ne sont pas épargnés. L’Association des médecins généralistes estime que 63 % des praticiens envisagent de quitter leur poste dans les deux ans. Pourquoi ? Parce qu’ils passent plus de temps à remplir des dossiers numériques qu’à regarder un patient dans les yeux. Les systèmes d’information hospitaliers sont lents, mal adaptés, et demandent des heures de formation. 79 % des hôpitaux exigent désormais que les nouveaux recrutés maîtrisent les outils d’intelligence artificielle pour la saisie médicale. Mais qui les forme ? Personne. Les formations durent en moyenne 8,7 semaines, et chaque clinicien doit y consacrer 32 heures. Pendant ce temps, les patients attendent.

Clinique rurale fermée, un patient âgé attend seul sur un banc pendant qu'une autre clinique est loin.

Les zones rurales, les oubliées

Dans les villes, les hôpitaux tentent de se débrouiller avec des contrats de travail à durée déterminée, des infirmières voyageuses, ou des heures supplémentaires obligatoires. Mais dans les zones rurales, c’est la désertification. Les cliniques de campagne ont 37 % de postes vacants de plus que celles des grandes villes. À Saint-Gaudens, dans les Hautes-Pyrénées, la clinique locale a dû réduire ses horaires d’ouverture. Les patients doivent faire 40 kilomètres pour un scanner, 70 pour une consultation spécialisée. Les ambulances mettent deux fois plus de temps à arriver. Les personnes âgées, les plus vulnérables, sont les premières à en souffrir.

Les soins à domicile, pourtant promis comme solution, peinent à se développer. Il n’y a pas assez d’aides-soignants pour les visites. Les infirmières libérales sont saturées. Et les plateformes de téléconsultation, bien qu’utiles, ne remplacent pas un examen physique. Une étude de 2024 a montré que les téléconsultations ont réduit les visites aux urgences de 19 %, mais elles ont coûté 2,3 millions d’euros à chaque système de santé pour être mises en place. Et encore, 68 % des hôpitaux n’arrivent pas à connecter leurs systèmes entre eux. Résultat : les dossiers médicaux sont perdus, les ordonnances ne passent pas, les patients sont perdus dans les méandres administratifs.

Infirmière submergée par des papiers et un ordinateur, une main fantomatique l'écrase de pression administrative.

Les solutions proposées… et pourquoi elles échouent

On entend souvent dire : « Il faut plus d’argent. » C’est vrai. Mais l’argent seul ne résout pas le problème. En 2025, le gouvernement a annoncé 500 millions d’euros pour financer les écoles d’infirmières. C’est bien. Mais les experts estiment qu’il en faut 2,8 milliards pour combler le déficit. Ce n’est qu’un tiers du besoin.

Les programmes de remboursement d’études, comme ceux mis en place dans certains départements, ont montré des résultats prometteurs. Dans les Hautes-Alpes, une aide de 15 000 euros versée aux infirmières qui s’engagent à rester 5 ans dans un hôpital rural a réduit les départs de 40 %. Mais ces initiatives restent locales. Il n’y a pas de stratégie nationale cohérente.

Les technologies, comme l’IA pour automatiser les tâches administratives, semblent être la réponse miracle. Mais elles ne fonctionnent que si les équipes sont formées, motivées, et suffisamment nombreuses pour les utiliser. Dans un hôpital surchargé, personne n’a le temps d’apprendre un nouveau logiciel. Et quand les outils échouent, c’est encore plus de stress.

Les hôpitaux qui ont réussi, comme le CHU de Montpellier, ont pris une autre voie : ils ont redessiné les équipes. Ils ont regroupé les tâches, délégué certaines fonctions aux aides-soignants, et mis en place des « chefs d’équipe » pour réduire la charge mentale des infirmières. Résultat : une baisse de 31 % du turnover en 18 mois. Mais ça a coûté 4,7 millions d’euros et 217 heures de travail par médecin. Ce n’est pas une solution pour tout le monde.

Que faire maintenant ?

Il n’y a pas de solution simple. Mais il y a des actions urgentes.

  • Augmenter les salaires et les conditions de travail : une infirmière en réanimation gagne en moyenne 2 800 euros nets par mois. Un agent de sécurité dans un centre commercial gagne 2 600 euros, avec des horaires réguliers. Pourquoi rester dans un métier où on meurt de fatigue ?
  • Former davantage de professeurs : chaque professeur d’infirmières peut former 25 étudiants. Il en faut 800 de plus pour répondre à la demande. Pourquoi ne pas transformer les infirmières expérimentées en formateurs à temps partiel, avec une rémunération adaptée ?
  • Éliminer les obstacles administratifs : les infirmières qui veulent travailler dans un autre département doivent attendre en moyenne 112 jours pour obtenir leur autorisation. C’est inadmissible.
  • Redonner du sens au métier : les soignants ne veulent pas juste être payés. Ils veulent se sentir utiles. Réduire les tâches administratives, rétablir le contact humain, écouter leurs idées - c’est ce qui les retiendra.

Le système de santé ne va pas s’effondrer demain. Mais il va continuer à se dégrader, jour après jour, jusqu’à ce que personne ne puisse plus tenir. Les patients le savent. Les soignants le savent. Les politiques le savent aussi. Le problème, c’est que personne n’a encore pris la décision difficile : investir vraiment, maintenant, dans les gens qui font tourner le système. Pas dans les machines. Pas dans les rapports. Dans les humains.

Pourquoi les infirmières partent-elles en masse ?

Les infirmières partent principalement à cause de la surcharge de travail, des horaires impossibles et du manque de reconnaissance. En 2025, 63 % d’entre elles envisagent de changer de métier, selon le rapport Medscape. La principale raison citée est le ratio patient/infirmière trop élevé - parfois jusqu’à 1 pour 6 en réanimation. Elles ne se sentent plus en sécurité, ni pour elles, ni pour leurs patients.

Les hôpitaux privés sont-ils moins touchés que les publics ?

Non. Les hôpitaux privés sont aussi en crise, mais leur modèle leur permet de réagir différemment. Ils paient mieux les infirmières voyageuses, utilisent plus d’IA pour réduire la charge administrative, et proposent des contrats plus flexibles. Mais ils ne peuvent pas absorber tout le système. La majorité des patients, surtout les plus vulnérables, dépendent encore du service public. Et là, les moyens manquent cruellement.

La téléconsultation peut-elle résoudre la pénurie ?

La téléconsultation aide à soulager les urgences, mais elle ne remplace pas les soins physiques. Elle est utile pour les suivis chroniques ou les consultations légères. Mais pour un patient âgé avec une infection urinaire, une douleur thoracique ou une plaie infectée, il faut un examen physique. De plus, 68 % des établissements n’arrivent pas à connecter leurs systèmes de dossiers médicaux, ce qui rend la téléconsultation inefficace ou dangereuse.

Pourquoi les écoles d’infirmières ne forment-elles pas plus d’étudiants ?

Parce qu’il n’y a pas assez de professeurs. Les infirmières expérimentées qui veulent enseigner sont souvent trop fatiguées pour quitter leur poste de soins. Et les salaires des enseignants sont inférieurs à ceux des praticiens en activité. En 2023, plus de 2 300 candidats qualifiés ont été refusés dans les écoles d’infirmières - pas parce qu’ils étaient mauvais, mais parce qu’il n’y avait pas de place. C’est un blocage structurel.

Quels sont les impacts à long terme si rien ne change ?

Si rien ne change, les hôpitaux devront fermer des services. Les soins de base, comme les consultations de pédiatrie ou les suivis de diabète, deviendront inaccessibles dans les zones rurales. Les urgences seront saturées, avec des délais de plusieurs jours. Les décès évitables augmenteront. Et le système deviendra si inefficace qu’il perdra toute crédibilité. Ce n’est pas une hypothèse lointaine : c’est ce que vivent déjà certains départements en 2025.