Si vous prenez des médicaments contre les crises et que vous envisagez une grossesse, vous êtes probablement confronté(e) à une décision extrêmement difficile : comment protéger à la fois votre santé et celle de votre bébé ? Ce n’est pas une question simple. D’un côté, les crises non contrôlées peuvent provoquer une fausse couche, des lésions cérébrales ou même la mort de la mère ou du fœtus. De l’autre, certains médicaments couramment prescrits augmentent significativement le risque de malformations congénitales et de troubles du développement neurologique chez l’enfant.
Quels médicaments sont les plus dangereux pendant la grossesse ?
Le valproate (ou acide valproïque) reste le médicament le plus risqué. Environ 10 % des bébés exposés in utero développent une malformation congénitale majeure - ce qui signifie qu’un bébé sur dix peut naître avec un problème du cœur, du cerveau, de la colonne vertébrale, ou une fente labiale. Ce chiffre est plus du double de celui observé avec d’autres médicaments. En plus des malformations physiques, les enfants exposés au valproate ont plus de deux fois plus de risques de développer un trouble du spectre de l’autisme (TSA) et près de deux fois plus de risques de souffrir de trouble déficit de l’attention avec hyperactivité (TDAH), selon une étude publiée dans Neurology en 2020.
Quatre autres médicaments présentent aussi un risque notable : la carbamazépine (Tegretol), le phénobarbital, la phénytoïne (Epanutin) et le topiramate (Topamax). Le risque augmente avec la dose. Par exemple, une femme prenant une dose élevée de carbamazépine aura un risque plus élevé de malformation que celle qui prend une dose faible. Le topiramate, surtout au-delà de 100 mg/jour, est associé à un risque accru de fente labiale et de faible poids à la naissance.
En revanche, deux médicaments sont considérés comme beaucoup plus sûrs : la lamotrigine (Lamictal) et le levetiracetam (Keppra). Une étude menée par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) et confirmée par l’Agence britannique des médicaments (MHRA) montre que les bébés exposés à ces deux traitements pendant la grossesse ont des taux de malformations comparables à ceux de la population générale. Des recherches de l’université de Stanford, publiées dans JAMA Neurology en 2021, ont même montré que les enfants exposés à la lamotrigine ou au levetiracetam développent des compétences verbales à l’âge de deux ans aussi bien que les enfants non exposés.
Les malformations congénitales : quels sont les risques réels ?
Les malformations liées aux médicaments contre les crises ne sont pas toutes les mêmes. Elles dépendent du médicament et de la dose. Voici les plus fréquentes :
- Malformations cardiaques (1 à 2 % des expositions aux médicaments à haut risque)
- Fente labiale ou palatine
- Problèmes de développement du cerveau ou de la moelle épinière
- Microcéphalie (tête plus petite que la normale) - observée chez 0,5 à 1 % des bébés exposés au valproate
- Retard de croissance à la naissance
- Problèmes urinaires ou rénaux
Malgré ces risques, plus de 90 % des bébés nés de mères épileptiques sont en bonne santé. Ce chiffre est en constante amélioration : entre 1997 et 2011, le taux de malformations majeures a baissé de 39 %, grâce à une meilleure connaissance des risques et à un changement dans les prescriptions. Les médecins évitent désormais de prescrire le valproate aux jeunes femmes, sauf en cas d’urgence absolue.
Les interactions avec les contraceptifs : un danger sous-estimé
Beaucoup de femmes ne savent pas que certains médicaments contre les crises rendent les contraceptifs hormonaux inefficaces. C’est une faille majeure. Si vous prenez de la carbamazépine, de la phénytoïne, du phénobarbital, du topiramate (à forte dose) ou de l’oxcarbazépine, vos pilules, patchs ou anneaux contraceptifs peuvent ne plus fonctionner. Résultat : une grossesse non prévue, avec un risque accru de malformation si vous continuez à prendre le médicament à risque.
Et ce n’est pas unilatéral. Les contraceptifs hormonaux peuvent aussi réduire l’efficacité de certains anticonvulsivants. La lamotrigine est particulièrement concernée : son taux dans le sang peut chuter de 50 % pendant la prise de contraceptifs œstro-progestatifs. Cela augmente le risque de crises. Le valproate, le zonisamide et le rufinamide peuvent aussi être affectés. C’est pourquoi les femmes qui prennent ces médicaments doivent discuter avec leur neurologue de la meilleure méthode contraceptive : un stérilet hormonal ou cuivre, ou une pilule progestative pure, sont souvent préférables.
La grossesse n’est pas une raison d’arrêter les médicaments
Il est tentant d’arrêter les médicaments dès qu’on apprend qu’on est enceinte. C’est une erreur. Une crise généralisée (tonico-clonique) pendant la grossesse peut provoquer une chute, une privation d’oxygène pour le fœtus, une rupture du placenta ou une fausse couche. Les risques d’une crise non contrôlée sont bien plus élevés que ceux d’un traitement adapté.
Les autorités médicales - y compris les NIH et la Société américaine d’épilepsie - insistent sur un point clé : aucun médicament contre les crises n’est aussi dangereux pour la mère et le bébé qu’une crise non contrôlée. L’objectif n’est pas de tout arrêter, mais de passer à un traitement plus sûr avant la grossesse.
Que faire avant de tomber enceinte ?
Si vous êtes une femme en âge de procréer et que vous prenez un médicament contre les crises, voici les étapes essentielles :
- Consultez votre neurologue avant de vouloir tomber enceinte. Ne attendez pas d’être enceinte pour en parler.
- Si vous prenez du valproate, demandez un changement de traitement. La lamotrigine ou le levetiracetam sont souvent des alternatives efficaces.
- Prenez de l’acide folique (au moins 0,4 mg par jour, parfois jusqu’à 5 mg si vous avez un risque élevé) dès que vous envisagez une grossesse. Cela réduit le risque de malformations du tube neural.
- Évitez les contraceptifs hormonaux si vous prenez un médicament qui les rend inefficaces. Privilégiez le stérilet ou la pilule progestative.
- Ne modifiez jamais votre traitement sans supervision médicale. Un changement brutal peut provoquer des crises.
Les études montrent que les femmes ayant bénéficié d’un suivi préconceptionnel ont 4 fois moins de risques d’avoir un bébé avec une malformation. Pourtant, une étude française publiée dans Neurology en 2023 révèle que les femmes avec moins de ressources économiques continuent à recevoir des médicaments à haut risque - par manque d’accès aux soins spécialisés. C’est une inégalité de santé qu’il faut corriger.
Les nouveaux médicaments : un espoir réel
Les 20 dernières années ont vu l’arrivée de médicaments beaucoup plus sûrs. La lamotrigine et le levetiracetam ne sont plus des exceptions - ce sont maintenant les premiers choix pour les femmes en âge de procréer. Les études montrent que les enfants exposés à ces traitements n’ont pas de retard de langage, pas de troubles cognitifs majeurs, et un développement global comparable à celui des autres enfants.
Des recherches en cours étudient 11 autres médicaments pour lesquels les données sont encore insuffisantes. Le but est de remplacer progressivement les anciens traitements à haut risque. Aujourd’hui, une femme épileptique peut avoir un enfant en toute sécurité - à condition d’être bien accompagnée.
Les risques ne sont pas égaux pour tous
Le risque dépend de plusieurs facteurs : le médicament, la dose, l’âge de la mère, la présence d’autres maladies, et surtout, le suivi médical. Une femme qui prend une faible dose de lamotrigine, qui prend de l’acide folique, qui ne fume pas et qui suit régulièrement son neurologue a un risque de malformation inférieur à 2 % - presque le même que celui d’une femme sans épilepsie.
En revanche, une femme qui prend du valproate à forte dose, sans suivi, sans acide folique, et qui a déjà eu un enfant avec une malformation, voit son risque monter à plus de 15 %. C’est pourquoi le suivi personnalisé est crucial.
Que faire si vous êtes déjà enceinte ?
Si vous êtes enceinte et que vous prenez un médicament à risque, ne l’arrêtez pas. Contactez immédiatement votre neurologue et votre gynécologue. Un changement de traitement peut être envisagé, mais il doit être progressif et encadré. Des examens de dépistage (échographies fines, échocardiographie fœtale) peuvent être proposés pour détecter précocement d’éventuelles anomalies. L’objectif n’est pas de paniquer, mais d’agir avec précision.
Le valproate est-il interdit pendant la grossesse ?
Oui, dans la plupart des pays, y compris en France, le valproate est formellement déconseillé chez les femmes en âge de procréer, sauf en cas d’échec total des autres traitements et sous conditions strictes. Il ne doit jamais être prescrit en première intention. Si vous le prenez déjà, un changement doit être discuté avant toute grossesse. L’ANSM et l’Agence européenne du médicament ont émis des alertes répétées sur ce risque.
Puis-je allaiter si je prends un médicament contre les crises ?
Oui, dans la majorité des cas. La lamotrigine et le levetiracetam passent en très faible quantité dans le lait maternel, et les bébés allaités ne présentent pas de signes d’effets secondaires. Même le valproate est souvent considéré comme compatible avec l’allaitement, car la quantité transférée est faible. Cependant, il est essentiel de surveiller le bébé pour tout signe de somnolence ou de mauvaise prise de poids. Parlez-en à votre médecin.
Pourquoi les femmes avec moins de moyens prennent-elles encore des médicaments à risque ?
Parce qu’elles ont moins accès aux soins spécialisés. Les neurologues, les consultations préconceptionnelles, les suivis réguliers - tout cela demande du temps, des transports, et parfois des frais. Dans les zones sous-desservies ou pour les femmes sans couverture sociale complète, les prescriptions restent souvent basées sur la facilité et la disponibilité, pas sur la sécurité. C’est une inégalité de santé grave que les professionnels tentent de corriger, mais le système n’est pas encore équitable.
Le levetiracetam est-il vraiment sûr pour le bébé ?
Oui, selon les plus grandes études internationales, y compris celles menées en Europe et aux États-Unis. Le levetiracetam n’est pas associé à un risque accru de malformations congénitales. Les enfants exposés ont un développement moteur, cognitif et linguistique normal à l’âge de 2 ans. Il est aujourd’hui considéré comme l’un des médicaments les plus sûrs pour les femmes enceintes qui ont besoin d’un traitement antiépileptique.
Dois-je faire un test génétique avant de tomber enceinte ?
Pas nécessairement. Les malformations causées par les médicaments ne sont pas génétiques - elles sont dues à l’exposition chimique pendant le développement du fœtus. Un test génétique ne vous dira rien sur le risque lié à un médicament. En revanche, si vous avez déjà eu un enfant avec une malformation, un suivi plus rigoureux est recommandé, mais ce n’est pas lié à votre ADN. L’important est de bien choisir votre traitement et de le surveiller.
Les prochaines étapes
Si vous êtes une femme avec une épilepsie et que vous souhaitez avoir un enfant, votre premier pas est simple : rendez-vous chez votre neurologue. Apportez votre liste de médicaments, vos questions, et dites clairement que vous envisagez une grossesse. Ne laissez personne vous dire que c’est trop risqué. Aujourd’hui, avec les bons traitements et un bon suivi, vous avez toutes vos chances.
Les médicaments contre les crises ne sont plus une sentence. Ils sont un outil. Et comme tout outil, il faut le choisir avec soin, l’utiliser avec précision, et le surveiller en permanence. Votre bébé mérite cette attention. Et vous aussi.